Le fossoyeur José (que les habitants de son quartier surnomme Zé du cercueil) sème la terreur et la mort dans sa ville. Sa compagne étant stérile, il est par ailleurs à la recherche de la femme parfaite qui pourra porter son enfant...
A minuit, j'emporterai ton âme est le premier film dans lequel apparaît lepersonnage Zé du cercueil, créé et interprété par le réalisateur brésilien JoséMojica Marins. Celui-ci est né à Sao Paulo de parents espagnols Il a grandi dans lessalles de cinéma où travaillait son père. Il est très tôt passionné de cinéma ettourne des court-métrages en 16 mm dès les années 1940. Il réalise ses premierslongs-métrages dans les années 1950, avec les drames Sentenca de Deus (1954) et Asina do aventureiro (1959), qui est un succès, mais qui est condamné par l'église.Marins tourne alors Meu destino em tuas manos (1963), un film édifiant sur ladélinquance juvénile. A cette époque, il tente aussi de lancer la mode desromans-photos au Brésil, mais c'est un cuisant échec. Qui plus est, le tournage de sonfilm suivant, Inferno carnal, est annulé après des mois de préparation, àcause d'une maladie qui frappe Marins. Celui-ci fait alors un cauchemar dans lequel unhomme noir, son propre double, le traîne vers sa tombe ! Cela lui donne l'idée de créerle personnage Zé du cercueil, et de tourner A minuit, j'emporterai ton âme,considéré en général comme le premier film d'épouvante brésilien. Mojica Marins,très influencé par les comics américains et les films d'épouvante hollywoodiens desannées 1920-1930, se lance à corps perdu dans ce tournage (il se bourre littéralementd'excitants pour ne jamais dormir), entouré d'une troupe de comédiens amateurs (NivaldoLima, qui joue Antonio reviendra toutefois dans d'autres films de Marins, comme Cettenuit, je m'incarnerai dans ton cadavre (1967)...)).
A minuit, j'emporterai ton âme, c'est avant tout l'acte de naissance de Zé ducercueil, appelé à devenir un mythe de l'épouvante très populaire au Brésil. Zéest un personnage qui frappe par sa cohérence. Barbu, vêtu de noir, il possède desongles longs et pointus à une de ses mains (dont il se servira pour énucléer un de sesennemis). C'est un homme élégant, portant un costume noir, et empruntant à Mandrake lemagicien (dont Marins avoue être un fan) son haute de forme et sa cape. Surtout, Zé aune philosophie bien à lui. Étrangement pour un personnage lié au cinéma fantastique,il méprise toute forme de surnaturel. La religion catholique, le Diable, le vaudou...sont autant de superstitions et d'exploitations de l'ignorance humaine qu'il méprise. Cefossoyeur, habitué à côtoyer la mort dans sa réalité la plus crue, ne croit qu'en unechose : le principe de la vie qui, selon lui, circule dans le sang. Seul le sang compte,et la seule façon de contrer la mort, c'est d'avoir des enfants et ainsi de prolongerl'écoulement de son sang au-delà de la mort physique.
Dès lors, refusant la peur de la mort et la peur de Dieu, Zé croit en lui-même, en saforce, et se veut supérieur aux troupeaux des faibles et des bigots. Tous les actes desadisme que lui dicte son instinct lui sont permis, et doivent même être mis en pratiqueafin de prouver qu'il est un homme libre. Ce sont ses actes d'une grande cruauté qui vontconstituer l'essentiel des séquences horrifiques de A minuit, j'emporterai ton âme
- doigts tranchés, yeux crevés, fouet, araignées vénéneuses, viol... Avec une
Mais Zé n'est pas dénué d'une certaine ambiguïté. Un de ses passe-temps favorissemble être de narguer Dieu ou les forces surnaturelles. Ainsi, ses actions et ses proposblasphématoires semblent destinés à provoquer aussi bien les hommes croyants que Dieului-même. Une nuit d'orage, seule dans sa demeure, il agonise Dieu d'injures, luireprochant d'être une force impuissante, incapable d'infliger des punitions terrestres.De même, après qu'une sorcière l'ait mis en garde contre la vengeance des esprits, Zése rend dans un cimetière pour injurier les morts et se réjouir bruyamment qu'ils nesortiront jamais de leurs tombes, puisque après la mort, il n'y a rien... Dès lors, lesblasphèmes et les crimes commis par Zé semblent autant être des tentatives de mettre àl'épreuve ses théories sur l'instinct et la liberté de l'homme, qu'une sollicitation dusurnaturel, une tentative de pousser Dieu à se manifester pour avoir la certitude de sonexistence.
Au-delà de ses idées cohérentes, ainsi que de ses scènes de sadisme et de blasphème assezculottées, A minuit, j'emporterai ton âme se distingue par ses effets deterreur fantastiques, particulièrement dans son final. Comme dans Vampyr (1932)de Dreyer ou Accattone (1961) de Pasolini, Zé va assister en spectateur à sespropres funérailles. Il sera traqué par toutes sortes de spectres, au rythme d'unebande-son mêlant mélopées macabres, bruits de coups et chœur de hurlements, dontle caractère brut n'aurait pas été renié par des grands noms de la musiqueindustrielle des années 1970-1980 comme Throbbing Gristle ou Non !
Certes, ce n'est pas un film parfait. Les conditions techniques précaires de saréalisation sont parfois perceptibles, notamment à travers certains trucages naïfs(fondus enchaînés, grattage de la pellicule...). De même quelques passages sont un peutrop lents et faibles, ce qui aboutit à un résultat parfois inégal.
A minuit, j'emporterai ton âme reste tout de même un film passionnant. Portépar un José Mojica Marins possédé par son rôle, il se permet toutes les provocationsavec une énergie et une audace encore efficaces presque trente ans après sa sortie. Dansles régions du Brésil où sa distribution sera autorisée, cette oeuvre connaîtra uncertain succès, ce qui encouragera José Mojica Marins à lui donner une suite avec Cettenuit, je m'incarnerai dans ton cadavre. Le personnage réapparaîtra encore, avec,entre autres, Le monde étrange de Zé du cercueil (1968) ou La trilogie dela terreur (1968), puis il sera décliné sur divers supports (disques, télévision,bande-dessinées...). Hélas, à la fin des années 1970, le cinéma brésilien sombredans la crise ; ayant mal géré ses affaires, José Mojica Marins se retrouve contraint,pour survivre, de se consacrer à la réalisation de films pornos. Si ce personnage avaitété un peu remarqué en Europe (Marins est invité à des festivals en Espagne et enFrance au début des années 1970), les USA le découvrent au début des années 1990, oùses œuvres sont édités en VHS. José Mojica Marins devient alors lentement, maissûrement, un des plus célèbre représentant du cinéma d'épouvante d'Amérique du sud.
Bibliographie consultée :